Mon cher Arnaud !

Voici la réponse adressée, ce jeudi, par Martine Aubry à Arnaud Montebourg. On y voit que, sur les points soulevés par Arnaud Montebourg, Martine Aubry répond en n’infléchissant pas d’un iota ses propositions initiales, mais se « contente » de mettre en lumière comment elle les adresse, de façon pragmatique, volontaire et équilibrée.

Je note au passage qu’Arnaud Montebourg qui prend une posture de grand rénovateur du PS, gonflé par ses 17 %, pourrait balayer devant sa porte, cf. les propos de Ségolène Royal que je reprends opportunément à mon compte :

« Vous allez me dire encore que je titille les autres candidats mais l’intégrité politique c’est de mettre en conformité les discours et les actes. Donc la meilleure façon de faire la parité, c’est d’arrêter avec le cumul des mandats » lance l’ancienne candidate à l’ élection présidentielle de 2007.

« Dès qu’ils en ont l’occasion ils [Arnaud Montebourg et François Hollande, NDLR] cumulent le mandat de parlementaire et de président de conseil général. Ce n’est pas conforme à l’idée que je me fais de la morale publique » ajoute la candidate socialiste.

« Je dis aux Français: choisissez les personnalités politiques qui mettent en accord de façon morale leurs discours et leurs actes » conclut Ségolène Royal.

(Je vous prie de m’excuser au passage pour ce billet à très faible valeur ajoutée !)

Paris, le 12 octobre 2011

Mon cher Arnaud,

J’ai bien reçu ta lettre et j’y réponds avec grand plaisir. Je veux d’abord nous féliciter collectivement du succès des primaires. C’est un grand succès pour tous les socialistes. Ensemble, depuis le Congrès de Reims, nous avons reconstruit le Parti socialiste et nous l’avons doté d’un projet, ce qui était le préalable à la réussite des primaires et de l’alternance. Tu sais combien que je voulais lier les primaires et le projet, toi qui a initié l’idée des primaires avant même le Congrès de Reims. Tu as accepté la présidence de la Convention nationale sur la Rénovation et je suis fière du travail que nous avons accompli. Avec la rénovation, la mise en place des primaires, le non-cumul des mandats, nous avons redonné sa fierté et sa force au Parti socialiste, et nous avons bien servi la gauche et la démocratie française. Parce qu’il a fallu vaincre de nombreux conservatismes, ces combats ont été difficiles et je suis heureuse que nous les ayons menés ensemble, avec l’aide, que je veux saluer, de Ségolène Royal.

La campagne des primaires et les débats que nous avons eus ont convaincu les Français de venir voter massivement dimanche dernier. C’est dire combien, loin des prévisions les plus pessimistes et des attaques de la droite, ils ont intéressé les Français. Nous avons montré un Parti vivant, nourri par le débat d’idées. La confrontation respectueuse des points de vue est féconde, là où la volonté d’unanimisme à tout prix sur fond de divisions personnelles, qui a trop longtemps prévalu à la tête du PS, stérilise la pensée et appauvrit les projets.

Au terme de ces débats, le 1er tour a dégagé une majorité claire et forte pour un changement profond porté par une gauche forte. Les électeurs ont dit leur volonté d’une politique de sortie de crise par l’invention d’un nouveau modèle économique, social et écologique. Ils ne se retrouvent pas dans une politique d’aménagement du système actuel. La volonté de battre le Président sortant est forte mais s’y ajoute une volonté de changer ce système qui a failli, une envie d’espoir, l’envie d’une société plus respectueuse, plus juste, où l’argent ne peut pas tout et où les solidarités sociales, locales et républicaines sont reconstruites. On ne battra pas M. Sarkozy avec du flou, mais avec de la clarté.

Cette aspiration majoritaire n’est pas une surprise pour moi. Elle conforte le projet que j’ai présenté au pays durant la campagne. En 2012, la France ne veut pas seulement une alternance : elle veut une alternative. C’est ma conviction : si on change de présidence, c’est pour changer de politique. Je ne suis pas moi, par exemple, favorable à ce que nous fassions voter une règle d’or après les élections que nous avons refusée avant. De même que je ne souhaite pas associer d’anciens ministres de M. Sarkozy aux futures responsabilités. Nos électeurs ne s’y retrouveraient pas. La France ne s’en sortirait pas. Je suis persuadée que doit émerger une gauche d’après crise, porteuse d’un nouveau modèle qui associe les Français, un modèle plus viable, plus équitable, plus durable.

Alors que le débat se poursuit entre les deux tours de nos primaires, je souhaite répondre et réagir aux propositions que tu m’as transmises. Nos valeurs sont communes, nos idées se renforcent : ta lettre me permet d’exposer concrètement et politiquement ce que je crois essentiel.

Tu connais mon engagement à reprendre la main sur la finance. C’est un préalable au nouveau modèle que nous devons bâtir : l’efficacité dans la justice ! Les mesures que j’appelle de mes vœux n’ont pas changé tout au long de cette campagne : recapitaliser les banques en faisant entrer l’Etat à leur conseil d’administration et en leur imposant en contrepartie d’une part une stricte limitation des bonus bancaires, d’autre part des obligations précises de financement des entreprises et des ménages ; séparer les banques de dépôts et les banques d’investissement, c’est essentiel pour protéger l’épargner des Français ; interdire certaines pratiques spéculatives comme les ventes à découvert ; plafonner les frais bancaires et mieux encadrer le crédit revolving qui plonge dans le surendettement de nombreux ménages ; créer à l’échelle européenne une taxe sur les transactions financières pour casser la spéculation, faire porter le poids du remboursement de la dette au système bancaire et non aux contribuables nationaux, mais aussi pour lancer des programmes d’investissement ; mettre en œuvre une agence de notation publique européenne ; interdire les relations des établissements financiers et bancaires avec les paradis fiscaux et bancaires qui sont le trou noir de la finance mondiale, ainsi qu’agir pour la suppression des paradis fiscaux à l’échelle européenne et du G20.

En parallèle, nous devrons créer une Banque Publique Européenne, à partir du Fonds de Stabilisation Financière, pour empêcher la spéculation contre les dettes souveraines, et en France même, créer une Banque publique d’investissement sous forme de fonds régionaux. La finance doit être mise au service de l’économie et non l’inverse, et l’économie au service de l’humain.

Concernant le commerce international, tu sais le travail que j’ai mené au sein de notre parti pour dépasser une forme de libre échangisme dogmatique qui a trop longtemps prévalu dans nos orientations générales. Tu sais aussi que j’ai tenu à convaincre nos partenaires européens de militer à nos côtés pour une Europe qui protège son économie, ses industries et ses travailleurs. Le PSE et le SPD ont repris à leur compte nos propositions pour réguler les échanges et les rendre plus justes. C’est une avancée décisive, car, à l’évidence, nous ne pourrons pas pratiquer cette politique tout seuls. Nous avons besoin de le faire avec nos partenaires, à l’échelle de l’Europe. Aujourd’hui, une nouvelle politique commerciale européenne fondée sur une réciprocité exigeante est possible. C’est à l’Europe de la pratiquer sans attendre : nos intérêts en seront renforcés dans la compétition mondiale et nos exigences mieux prises en compte dans les négociations internationales. Europe ouverte, oui ; Europe offerte, non.

Je suis pour l’égalité dans les échanges commerciaux. L’Europe devra augmenter les droits de douane au niveau européen sur les produits ne respectant pas les normes internationales en matière sociale, sanitaire ou environnementale. Comment être de gauche sans être intransigeants sur le social et l’environnement ? Elue présidente de la République, je proposerai à nos partenaires européens de renforcer les clauses de sauvegarde et de réciprocité visant à garantir la loyauté des échanges. Il n’est pas acceptable, par exemple, que la Chine impose aux entreprises étrangères de produire localement pour alimenter son marché alors que l’Europe ne se donne pas les moyens d’obtenir la réciprocité : je ne me résigne pas à la fatalité des délocalisations de nos industries hors d’Europe. Je n’accepte pas davantage que nos marchés publics soient ouverts à des entreprises non européennes quand ceux de la nationalité de ces entreprises ne le sont pas. L’Europe doit être active, pas naïve. C’est tout le sens du combat pour la réindustrialisation que je n’ai cessé de mener depuis que je suis à la tête du Parti socialiste.

Parmi les mesures que tu évoques, je suis favorable à un contrôle national et européen de toute acquisition étrangère d’entreprises dont les technologies mettent en cause notre souveraineté. Les Etats-Unis le font. Pourquoi pas nous ? En matière de délocalisation, le principe qui doit prévaloir est simple : celui du délocaliseur payeur. Il s’agira, pour une entreprise qui réalise des bénéfices et qui ferme un site rentable, de rembourser les aides publiques, dépolluer le site et reclasser les salariés.

Quant aux entreprises qui déménagent l’outil de travail ou les brevets, elles pourront être mises sous tutelle sur décision de la justice saisie par les salariés. Je tiens aussi à préciser que la réindustrialisation de la France réclame davantage qu’une politique strictement défensive. Nos emplois industriels réclament une vraie stratégie de compétitivité-qualité: je souhaite augmenter progressivement nos dépenses de R&D ; je souhaite relancer l’investissement public national et européen dans les secteurs d’avenir ; je souhaite que les PME et leurs capacités d’innovation soient réellement soutenues par les grands groupes et naturellement par les banques ; j’entends réorienter la fiscalité et l’épargne vers l’outil productif plutôt que vers la finance et la rente.

A mes yeux, la vraie performance passe beaucoup par une sécurisation des parcours professionnels pour réduire la précarité dans l’emploi, par la présence des représentants des salariés dans les instances de décision des grandes entreprises, ainsi que par la prévention des maladies professionnelles et l’amélioration des conditions de travail Tu le vois, je plaide pour une stratégie offensive et protectrice pour la France et pour l’Europe. En cela, mon projet est porteur d’une vraie alternative qui lui permet aujourd’hui de rassembler beaucoup de celles et ceux que le débat sur l’Europe en 2005 avait divisés.

Concernant la transformation de notre économie, je suis fière d’avoir affirmé au coeur de notre projet le besoin d’un nouveau modèle. Notre volonté n’est pas seulement d’aménager ou d’humaniser le marché, mais bien de transformer le modèle de production libéral capitaliste. Plutôt que la financiarisation et la recherche du profit maximal à court terme, enrichissons notre base productive par les valeurs et les méthodes des entreprises du secteur mutualiste et coopératif. Nous les soutenons dans les Régions et les Départements que la gauche dirige, mais l’actuel Gouvernement, hélas, les ignore souvent quand il ne les méprise pas carrément.

J’ai eu aussi l’occasion, durant cette campagne, d’exprimer ma volonté de développer et de soutenir l’économie sociale et solidaire, dont j’ai rencontré de très nombreux acteurs. Il faudra leur faciliter l’accès à la commande publique. De même, je me suis engagée à favoriser, en matière agricole, les circuits locaux de l’agriculture paysanne et le renforcement des droits des producteurs face à la grande distribution et ses marges abusives : les paysans ne sont pas seulement des jardiniers du territoire, ils doivent pouvoir vivre de leur travail et subvenir aux besoins de leurs familles. Cette transformation sera d’abord sociale et écologique. Elle conduira la société française à produire, à consommer, à se déplacer autrement. J’ai pris des engagements très fermes sur la manière de conduire cette transition, à la fois en matière énergétique, pour le logement et pour les transports.

Concernant la démocratie, tu sais les engagements clairs que j’ai pris sur le non-cumul des mandats et des fonctions. J’ai souhaité, avec l’immense majorité des militants socialistes, que ces règles soient applicables dès maintenant et pour 2012 et sans attendre la loi qui doit venir ensuite. Je n’ignore pas les résistances qui s’expriment encore aujourd’hui, mais sache bien que je serai intransigeante sur ce point.

Au-delà, l’essentiel pour moi est de changer profondément la République. Mon engagement est clair : je veux une nouvelle République qui mette fin à la monarchie présidentielle anachronique de la Ve République. L’échec de l’hyper-présidence Sarkozy nous montre, s’il en était besoin, la voie à ne pas suivre.

Dans cette République, la mobilisation des citoyens sera l’une des conditions des changements que nous voulons. Je sais comment l’action publique peut être revivifiée par les budgets participatifs, les débats publics, les référendum d’initiative populaire, mais aussi en associant loyalement, effectivement, les réseaux associatifs, les mouvements de consommateurs, et en ouvrant largement à tous les données publiques.

J’ajoute – car c’est pour moi un combat constant depuis vingt ans – que le droit de vote aux élections locales sera étendu aux étrangers en situation régulière sur le territoire national. Je veux une République exemplaire qui combattra sans compromis ni compromissions les conflits d’intérêt – renforcement des incompatibilités de fonctions, amélioration des contrôles, surveillance accrue du lobbying – et qui sera sans merci contre la corruption ici et ailleurs. Je défendrai le principe d’inéligibilité pour les élus condamnés par la justice pour des faits de corruption. Et je réduirai de 30 % la rémunération du chef de l’Etat comme celle des ministres.

Je veux une République équilibrée, avec un Président qui préside, un Gouvernement qui gouverne et un Parlement capable de jouer pleinement son rôle de contrôle. Le Conseil constitutionnel deviendra une véritable Cour constitutionnelle, dont le mode de nomination sera revu. La nouvelle République, c’est une justice pleinement indépendante. Beaucoup de magistrats m’ont confortée dans ce choix.

Je ne transigerai pas avec l’indépendance du parquet que je réaliserai en rendant la nomination des procureurs et le déroulement de leurs carrières indépendants du pouvoir politique ; je mettrai fin par la loi aux instructions individuelles qui ont été réintroduites par J. Chirac puis N. Sarkozy depuis 2002. De même, le statut pénal du chef de l’Etat et des ministres sera révisé afin qu’ils répondent de leurs actes devant des juridictions de droit commun, comme tout citoyen. J’abrogerai les dispositions choquantes du code pénal que sont les peines planchers et la rétention de sûreté, et j’engagerai une profonde réforme du code de procédure pénale. Je maintiendrai la spécificité de la justice des mineurs. Je rendrai la justice et la défense accessibles à tous, notamment par une revalorisation de l’aide juridictionnelle.

La nouvelle République, c’est aussi le pluralisme des médias. Il faut en finir avec cette spécificité française qui voit les principaux médias écrits et audiovisuels appartenir à des groupes de l’armement ou des travaux publics qui vivent de la commande publique. J’imposerai par la loi des règles anti-concentration pour consacrer l’indépendance des rédactions. Ces engagements exigeront des modifications législatives et constitutionnelles profondes que je soumettrai aux Français par référendum. Nous procéderons à la révision la plus importante de notre loi fondamentale depuis son établissement par le Général de Gaulle et Michel Debré. Nous ferons entrer notre République dans le XXIe siècle.

Dès 2012, je tiens aussi à le rappeler, il ne faudra pas attendre les modifications constitutionnelles pour s’attaquer concrètement aux problèmes des Français. Le vote de dimanche dernier a confirmé la grande aspiration des Français à plus de justice sociale. Il faudra refonder notre système éducatif, rétablir l’accès à la santé pour tous, rendre effectif le droit au logement, garantir le droit à une retraite décente et l’âge légal de départ à 60 ans, permettre la revalorisation des salaires et notamment du SMIC, agir pour le pouvoir d’achat en encadrant certains prix et revoyant la tarification des biens essentiels comme l’eau et l’énergie.

Cette réponse que je t’adresse confirme et approfondit la Lettre que j’ai écrite aux Français en août dernier. J’y disais notamment : «En Europe comme en France, nous savons bien que la crise n’est pas ponctuelle. Il ne suffira pas d’éteindre des incendies, toujours plus coûteux, mais bien d’être les architectes d’un nouveau modèle de développement économique, social et durable».

Depuis des mois et des semaines, je fais une campagne de propositions, pas de communication ni de clientélisme. Je resterai constante, fidèle à ce que je suis et à ce que j’ai dit aux Français. C’est cela aussi la morale en politique. Tu seras d’accord avec moi pour dire que la première rénovation en politique, c’est de défendre ses idées devant ses électeurs et de respecter le mandat que l’on a reçu d’eux.

Sur cette base claire et ambitieuse, je souhaite qu’ensemble, nous puissions continuer pour la France en 2012 le travail que nous avons déjà accompli depuis 2008. Nos convergences ne sont pas de façade ou de circonstance. Tu peux compter sur moi et j’espère pouvoir compter sur toi. Nos électeurs nous regardent : dimanche, je ne doute pas qu’ils feront le choix d’un vrai changement et d’une gauche forte.

Bien amicalement à toi,

Martine Aubry

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