Y a pas de raison pour que je n’ai pas, moi non plus, l’outrecuidance de présenter sur mon (formidable) blog les enseignements du scrutin.
Je parle bien entendu du premier tour de la primaire socialiste (pardon, les primaires citoyennes).
C’est parti !
Qui a voté ?
Environ 5 % du corps électoral, c’est à la fois beaucoup et peu. Beaucoup dans la mesure où, pour cette grande première, la mobilisation des électeurs n’était pas évidente. Jusqu’à la semaine dernière, j’ai encore croisé des personnes qui pensaient que cette primaire était réservée aux adhérents du P.S.
En outre, à l’exception du PRG qui a accepté de jouer le jeu de l’ouverture aux partis de gauche proposée par le P.S., les autres principaux partis de gauche (EELV, Parti de Gauche, Parti Communiste) ayant préféré régler leurs questions d’investiture chacun dans leur coin ((À ce propos, j’ai moi-même appris la semaine dernière que la primaire écolo était ouverte à tous, moyennant 10 euros. Si j’avais su, j’aurais ptête cassé le cochonnet pour voter contre Hulot. Saviez-vous qu’il y avait 6 candidats pour cette primaire également ? Eh non, ça n’était pas un duel Hulot-Joly.)), on peut donc penser que le gros des votants, ce dimanche était constitué des militants et sympatisants socialistes.
C’est sans doute globalement vrai, même si, dans mon esprit, toutes les personnes de gauche et du centre (j’y inclue le centre droit, oui, oui) qui souhaitaient dire qui ils avaient envie de voir au second tour de l’élection présidentielle 2012 pour battre Nicolas Sarkozy, vu que, selon toute vraisemblance, le vainqueur du second tour de cette primaire citoyenne sera celui qui affrontera le candidat UMP l’année prochaine.
Si l’on imagine que la participation à une élection standard est de l’ordre de 60 % et que la gauche représente 50 % des votants, nous aurions pu avoir 30 % de votants (dans les 15 millions d’électeurs, quoi – sans compter que le scrutin était ouvert aux étrangers qui n’ont pas aujourd’hui le droit de vote, moyennant une procédure d’inscription préalable, sans doute peu suivie [je n’ai pas les chiffres]). On est loin du compte !
Ma conclusion : les gens qui ont voté font partie du corps le plus politisé de la population. C’est pour moi la cause principal du score médiocre de Ségolène Royal, qui continue d’attirer un électorat populaire et urbain, mais a été satellisée au P.S., lâchée pas beaucoup de ses principaux soutiens. La deuxième raison, c’est qu’elle a fait une campagne un peu terne, et j’avais un peu de peine à l’entendre rabâcher comme un 78T rayé ses gimmicks de 2007.
Sur Colombes, j’ai vu d’ailleurs défiler quelques électeurs Modem notoires à mon bureau ((Non non, Laurent, pas toi, je sais que tu étais au festival des Inrocks ce week-end !)), ce qui me conforte dans mon analyse.
Les scores
François Hollande assez nettement en tête, mais pas autant que ce que les sondages laissaient escompter, Martine Aubry avec un score solide, Arnaud Montebourg qui crée la surprise avec une belle troisième place, laissant Manuel Valls et Ségolène Royal sous la barre des 10 %, enfin Jean-Michel Baylet qui ne fait même pas 1 % des voix (à ce niveau, ça n’est même plus une candidature de témoignage), je ne vois dans tous ces résultats pas de grande surprise par rapport à la dynamique de cette campagne. Quelques réflexions en vrac :
- Pour Royal, j’en ai déjà parlé, mais quel choc, quand même ! Cinq ans plus tôt, elle était plébiscité par 65 % des militants socialistes…
- Baylet a échoué, à mon avis, sur son principal enjeu sur cette campagne : faire plus clairement comprendre aux Français le positionnement du PRG sur l’échiquier politique. Il est possible que les médias ne lui aient guère facilité la tâche, mais quand il avait la parole, il n’en faisait pas un usage fameux. J’avais trouvé particulièrement piteuse son intervention lors du premier débat télévisé (je n’ai pas vu les suivants), où il commençait par « mon programme n’est pas [du tout] socialiste » (!) et concluait avec un « ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous divise ». Limpide.
- Valls a fait une campagne pertinente et – fort heureusement – débarrassée de ces prises de position déplaisantes (à mes oreilles) dont il a le secret. Il se rapproche donc de la doxa socialiste (le programme) tout en prônant l’ouverture au centre, il devient avec cette primaire plus légitime pour incarner l’aile droite du P.S.
- De son côté, Montebourg armé de ses 17 % est lui, carrément légitime pour incarner l’aile gauche. Il faut dire que le terrain est pour lui plutôt dégagé, avec Mélenchon qui a mis les bouts, Emmanuelli et quelques autres atteints par la limite d’âge et Hamon rangé derrière Aubry, sans doute invité à ne pas l’ouvrir trop grande. Je pense qu’il a, sur la primaire, bénéficié aussi des voix des sympathisants de gauche non socialistes ((Enfin, je pense à ceux qui se reconnaissent dans les partis plus à gauche que le P.S. Je n’ai pas vraiment d’opinion sur le vote écolo sur cette primaire socialo.)) qui se sont sentis concernés par l’élection.
- Pas grand chose à dire sur Hollande, sinon que son score a été sans doute rogné par la bonne dynamique d’Aubry. Aubry est partie tardivement dans la campagne pour les raisons que l’on sait : DSK devait être candidat (NB : j’aurais quand même apprécié qu’il le dise aux Français plutôt que de réserver la confidence aux journalistes, sans doute pour rester légitime à son poste au FMI mais pourrait-on se débarrasser un peu de cette hypocrisie qui ronge la crédibilité politique ?), il voulait être César mais il est – politiquement – mort Pompée, comme disait l’autre. Bref, Aubry prend le relai. « Elle n’a pas autant envie que François Hollande », ai-je souvent entendu chez les soutiens de ce dernier. C’est possible, mais et alors ? Je ne vois pas en quoi ce serait une qualité d’être dévoré par l’ambition (j’ai bien vu ce que ça donnait chez le petit Nicolas : déprimant), et en outre, quand je vois Aubry, je n’ai vraiment pas l’impression qu’elle est juste là pour faire une candidature de témoignage. Elle est mordante, volontaire, pertinente, claire, pugnace, déterminée. Elle a saisi la balle au bond et l’a bien saisie.
La suite ? (les soutiens, les reports…)
Ahhh ! Eh bien en tout cas, la semaine qui s’annonce va être pour le moins intéressante. Il y a le risque, non nul, que ça castagne un peu (mais après tout, nous ne sommes pas non plus dans l’élection du plus joli bisounours ou à l’école des fans), mais je suis confiant sur le fait qu’aucun schisme au P.S. n’est à redouter. Je sens, autour de moi, une vraie volonté de rassemblement pour aller battre la droite en 2012, et passée la déception de ne pas voir son poulain désigné pour la Grande Bataille (et cette déception risque de concerner au moins 45 % des votants au second tour, selon moi), nous ferons vite corps derrière le vainqueur. Rappelons que nous avons encore de longs mois de campagne électorale devant nous.
On sait bien que les candidats « ne sont pas propriétaires de leurs voix », selon l’expression consacrée.
Néanmoins, Valls a clairement annoncé son soutien à Hollande.
À mon avis, Royal soutiendra Aubry (c’est comme ça que j’ai décrypté les paroles de Najat Vallaud Belkacem – canon la meuf ((Dis, JP, tu lui envoies les formulaires d’adhésion à la motion Q ?)) – où il m’a semblé entendre des slogans hybrides royalo-aubristes du genre « gauche forte et juste »).
Beylet, tout le monde s’en fout.
Tout serait donc dans les mains de Montebourg ?
L’édito de Thomas Legrand ce matin sur France Inter était, une fois de plus, d’une grande pertinence, sur le risque qu’auraient les deux candidats restant en lice à réorienter leur discours sur les positions de Montebourg, notamment en matière d’économie. Parce qu’il faut effectivement reconnaître qu’Aubry et Hollande incarnent à quelques nuances près la même ligne politique au P.S. (ce qui est d’ailleurs une des bonnes raisons pour que le ralliement se fasse sans trop de remous).
Je ne suis pas devin et la suite me paraît donc assez incertaine. Je suis relativement optimiste car je pense que Martine Aubry va continuer d’incarner avec la force dont elle fait preuve, et la capacité de rassemblement dont elle a déjà fait preuve (en tant que militant, je lui suis particulièrement reconnaissant du travail qu’elle a effectué à la tête du parti). Son positionnement (plus stratégique qu’idéologique, selon moi) au « centre » du P.S. devrait convaincre une bonne partie de l’électorat de Montebourg de se reporter sur elle (il est possible aussi qu’une partie s’abstienne au 2e tour). Ensuite, comme il l’a été dit, répété, rabâché dans un camp comme dans l’autre, il va s’agir de choisir celui ou celle dont on n’est convaincu qu’il ou elle sera mieux armé(e) pour affronter la droite l’année prochaine.
J’ai très vivement confiance en Martine Aubry pour être, en 2012, un peu plus qu’une présidente normale. En plus, on a aussi une nouvelle fois l’occasion d’élire à la tête du pays une femme (on a échoué en 2007), et ça aussi, pour un socialiste, je trouve que c’est un joli combat ((Alors qu’un François président, on en a déjà eu un.)).